ASSOCIATION FRANCAISE DE SOCIOLOGIE
RT27 SOCIOLOGIE DES INTELLECTUELS ET DE L’EXPERTISE :
SAVOIRS ET POUVOIRS
Appel à communication pour le 5ème congrès de l’AFS,
Nantes, 2 – 5 septembre 2013
« Les dominations »
Créé en 2004, le Réseau Thématique 27 de l’Association Française de Sociologie est consacré à la sociologie des intellectuels et de l’expertise. Il coordonne tout un ensemble de recherches qui visent à mieux rendre compte des conditions sociales de productions des biens symboliques et de leurs usages sociaux et politiques. Les travaux de ses membres couvrent un champ varié allant de l’étude des professions intellectuelles et de leurs modalités d’engagement à l’histoire sociale des sciences humaines et la sociologie des idées, en passant par l’étude de leurs circulation, réception et usages. Dans le cadre des sessions prévues lors du prochain congrès de l’Association française de sociologie, notre réseau thématique propose de fédérer des contributions portant sur trois thématiques spécifiques, dont deux sont directement liées à l’étude des formes sociales de domination, thème général du congrès. Des sessions particulières seront ainsi consacrées aux rapports que les intellectuels et les experts entretiennent avec les formes diversifiées de dominations (1), à la sociologie du traitement savant des mondes populaires (2) ainsi qu’aux méthodes en sociologie des intellectuels et de l’expertise (3).
Les propositions de communications s’inscrivant à l’intérieur des thématiques plus générales du réseau sont également les bienvenues : l’étude des professions intellectuelles ; l’analyse de leurs formes d’engagement ; la sociologie politique de l’expertise ; l’histoire sociale et la sociologie des idées ; l’étude de la production, de la circulation et de la réception des biens symboliques et des savoirs ; la réflexion sur les outils et techniques d’enquêtes utilisés en sociologie des intellectuels.
1. Engagements, légitimations et résistances intellectuels face aux dominations
Comment les intellectuels (écrivains, savants, artistes, experts, etc.) légitiment-ils ou résistent-ils aux formes de domination sociale et politique existantes ? De nombreux travaux ont mis en évidence leurs contributions spécifiques à la légitimation d’un ordre social et politique, la science ou le discours se faisant les instruments d’une domination de plus en plus rationnelle. Un exemple en est donné, parmi de nombreux autres possibles, avec les luttes entre savants concernant la définition légitime des « besoins » d’une population ou d’un groupe social : ils tendent à exercer une pression sociale sur les catégories mobilisées, justifient des entreprises de réforme des conduites de vie et orientent, voire réduisent, l’horizon du pensable pour les experts comme pour les groupes sociaux et les populations. C’est à l’issue de luttes sociales engagées au début du XIXe siècle qu’ont ainsi été instituées les manières canoniques dont l’homme moderne est mesuré, objectivé, pensé (ration alimentaire, salaire minimum, nombre de mètres carrés d’une habitation, etc.). Confondant connaissance des lois scientifiques et acceptation d’un ordre économique et social, la raison savante fut alors placée au service d’une ou de plusieurs formes de domination(s) sociale(s).
Le discours scientifique peut pourtant, sous certaines conditions, contribuer à porter à la conscience l’arbitraire des mécanismes de la domination, à dénaturaliser les institutions permettant de l’exercer et à favoriser les formes d’émancipation et de résistance collective. Au cours de la dernière décennie, les travaux portant sur les nouvelles formes de luttes sociales et sur certaines mobilisations improbables ont renouvelé la sociologie des mouvements sociaux et fait apparaître de nouvelles jonctions entre intellectuels, militants et groupes sociaux en lutte. Simultanément, une nouvelle sociologie de l’expertise a contribué à mettre en évidence, au-delà de l’opposition entre « expertise mandatée » et « expertise instituante », l’élargissement de la catégorie d’expertise elle-même. Les relations entre les savoirs, les discours sur le monde social et l’espace social ne sont donc pas à sens unique.
Alors que, d’un côté, syndicalistes, militants et usagers participent à l’élaboration des savoirs experts et que ces derniers sont davantage intégrés aux répertoires d’action collective, d’un autre côté, la remise en cause de la coupure entre savoirs experts et profanes et l’émergence de la figure de l’expert profane semblent témoigner d’une plus grande porosité entre univers savants, intellectuels et militants. Reste à identifier dans quelle mesure cette porosité accrue est ou non le produit d’une attention sociologique renouvelée à l’égard des luttes sociales et politiques et à analyser le contenu de ces relations : mise au service du mouvement social d’un capital symbolique (voire médiatique), comme ce fut souvent le cas dans les décennies antérieures, ou processus de coproduction plus étroite des savoirs ?
Les communications sur ces différents sujets articuleront matériaux empiriques et éléments de théorie. Elles se centreront sur la participation des savants, des experts et des autres fractions des groupes intellectuels au renforcement des diverses formes de domination ou à leur dénonciation : diffusion ou formulation de catégories ensuite mises en œuvre par d’autres acteurs dans leur lutte sociale, participation concrète à des entreprises de domination ou de contestation de ces dernières, légitimation ou divulgation d’un mouvement particulier.
2. Le(s) savant(s) et le populaire
En quoi les manières de dire les mondes populaires dans le discours intellectuel et dans les sciences sociales entretiennent-elles, ou, au contraire, contredisent-elles, les mécanismes de domination symbolique à l’œuvre entre les groupes intellectuels et les autres groupes sociaux ? Ce questionnement sur les rapports d’alliance ou de domination entre « savant » et « populaire » est toujours au cœur de multiples débats de la discipline. Il est par exemple présent dans le travail de James Scott sur les arts de la résistance. On le retrouve avec l’ouvrage de Richard Hoggart et sa notion d’« attention oblique » et, plus récemment, avec la parution en langue française du livre de Paul Willis, l’École des ouvriers, qui revient dans un entretien autobiographique sur sa trajectoire de chercheur et sa façon de travailler en milieu populaire. La sociologie politique n’ignore pas non plus cette interrogation sur les approches ou bien misérabilistes ou bien populistes des attitudes populaires. Peut-on en sortir en parlant de rapports « ordinaires » ou « profanes » à la politique ? Que faire des catégories courantes de l’entendement sociologique qui décrivent la politique des groupes populaires comme un manque ou un défaut : « dépolitisation », « incompétence », « désintérêt », « indifférentisme », « délégation », « dépossession », « proto-politique » ? De nombreuses enquêtes mettent en effet en évidence les multiples formes d’« incompétence » voire d’apathie dont les « dominés » feraient montre en matière politique mais d’autres travaux pointent l’absence de la politique, sa présence à éclipse, ou encore son évitement. A contrario, la volonté de « réhabiliter les pensées ordinaires » a pu alimenter ce que Pierre Bourdieu a appelé un « populisme épistémologique », notion qui pourrait faire l’objet d’une problématisation approfondie en relation avec une enquête sur le traitement des classes populaires par les intellectuels. Cette proposition thématique invite en effet à analyser sociologiquement cette histoire et ses acteurs : le RT 27 défend en effet une sociologie des savoirs et des intellectuels qui combine travail empirique et réflexions épistémologiques.
Si les rapports entre « savant » et « populaire » ont souvent été interrogés d’un point de vue épistémologique, ils peuvent (et doivent) aussi faire l’objet d’une interrogation sociologique. Seront particulièrement bienvenues dans ce cadre les recherches portant sur les catégories d’analyse mobilisées au sujet des mondes populaires par les chercheurs, les experts et les intellectuels, sur leurs schèmes interprétatifs, leurs descriptions, les concepts ou notions mis en circulation. Plus précisément, il s’agira de rapporter les différentes formes de discours savants sur le populaire à des traits des producteurs intellectuels de ces discours et à leurs propriétés sociales. La question des liens entre le point de vue adopté par ceux qui écrivent sur le « populaire » et leurs origines sociales, leur socialisation, en particulier religieuse, leurs engagements politiques, la position au sein du champ intellectuel pourra ainsi faire l’objet d’une réflexion systématique. Les communications proposées peuvent faire état de tous types d’enquêtes — prosopographiques, biographiques, historiques, statistiques… — permettant d’éclairer les raisons socialement fondées du regard intellectuel sur les mondes populaires et ses manières de reconduire ou pas des phénomènes de violence symbolique.
3. Construction de l’objet et méthodologies en sociologie des intellectuels et de l’expertise
Notre troisième thématique est plus générale que les deux précédentes et vise à rassembler les savoir-faire qui se développent depuis quelques années, dans notre réseau et autour de lui, afin d’aborder sociologiquement les idées, les discours et les mondes du savoir et de l’expertise. Le développement de la sociologie des intellectuels en France ces dernières années a notamment été rendu possible par une réflexion théorique importante qui a vu ce domaine disciplinaire se doter de ses propres modèles, problématiques et outils analytiques. La réflexion sur les techniques d’enquête et méthodes empiriques pertinentes pour l’étude des mondes intellectuels n’a en revanche pas fait l’objet d’un investissement similaire, et les ajustements que nécessite la transposition des techniques habituelles de la sociologie à cet objet singulier ne sont que rarement explicités. Une session du réseau sera par conséquent consacrée à ces questions à travers la présentation et l’analyse de dispositifs d’enquêtes empiriques spécifiques.
Le travail de construction de l’objet pour ce qui touche aux biens intellectuels et culturels pose des questions particulières qui pourront faire l’objet d’une discussion. Quelle existence donner aux objets culturels (« écoles », « paradigmes », « courants », « genre littéraire » etc.) qu’étudie le sociologue de la vie intellectuelle ? Dans la mesure où ce dernier est conduit à travailler sur un espace au sein duquel il est lui-même situé, peut-il dans son travail faire sens de la distinction traditionnelle entre catégories indigènes et catégories scientifiques (emics/etics) ? En particulier, sous quelles conditions peut-il reprendre à des fins de description les catégories et labels, souvent concurrents, produits par les intellectuels qu’il étudie et au moyen desquels ceux-ci se classent, que ces classements portent sur leurs productions (« avant-garde », « orthodoxie », « poésie symboliste », « sociologie critique », « positivisme » etc.) ou sur leurs modèles d’engagement (« intellectuels spécifiques », « intellectuel organique », « experts » etc.) ?
Les communications pourront également porter sur le choix des méthodes et techniques d’enquête employées en fonction de l’objet et de la manière dont il a été construit. On peut par exemple se demander si l’analyse de réseau n’est pas plus utile que l’analyse des correspondances multiples pour analyser les processus de circulation et de légitimation. L’analyse lexicographique ou lexicométrique peut-elle permettre une entrée plus poussée dans l’analyse des contenus ? Quel usage peut-on faire de l’analyse statistique des carrières ? Le recours aux techniques dites qualitatives en sociologie des intellectuels et de l’expertise soulève des questions symétriques. Pour la réflexion ethnographique, les mondes intellectuels présentent en effet l’intérêt de radicaliser un certain nombre de questions que pose plus classiquement le recours à l’ethnographie sur les terrains proches. Plus que tout autre, le sociologue des intellectuels est confronté à des enquêtés en mesure de le lire et de lui répondre. On pourra par conséquent s’interroger sur les types de censures auxquelles condamne éventuellement la sociologie des intellectuels et sur les obstacles ou difficultés spécifiques que la participation, même involontaire, au monde intellectuel comme contexte pertinent du terrain d’enquête, oppose au travail de distanciation et d’objectivation. Plusieurs questions pourront par conséquent être abordées ici. Quelles possibilités les mondes intellectuels offrent-ils en matière d’observation ethnographique ? Comment le rapport de l’enquêteur à son objet, la manière dont il est perçu par ses enquêtés (en fonction de sa discipline, de la manière dont ils se présentent, des « alliés » dont il dispose etc.), les attentes formulées à son endroit, jouent-elles sur le type de données auxquelles il peut accéder et sur la parole recueillie en entretien ? Du fait de la proximité de l’objet et du capital symbolique qui peut être associé au nom propre, le traditionnel recours à l’anonymat rencontre des obstacles spécifiques en sociologie des intellectuels : comment peut-on y répondre ? Toutes ces questions ne sont, bien sûr, pas limitatives et n’ont pour but que de suggérer des pistes de réflexion possibles au sein de cette session.
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D’une manière plus générale, toutes ces thématiques sont indicatives. Les communications traversant plusieurs des trois thèmes qui viennent d’être évoqués sont également bienvenues. Par ailleurs, les propositions s’inscrivant dans les autres axes du réseau thématiques 27 seront prises en compte avec la même attention. Ces axes peuvent être consultés à nouveau à l’adresse suivante : http://www.socio-intellectuels.msh-paris.fr/?page_id=187. Enfin, toutes les sessions sont ouvertes à tous, sans restriction de statut ou de domaine de recherche. Sont donc invités à y participer tous les chercheurs, qu’ils soient enseignants, doctorants ou chercheurs confirmés, travaillant dans des organismes publics, des sociétés d’études, des administrations ou des entreprises.
Les propositions de communications comprendront un titre et quelques mots clés et ne dépasseront pas 1500 signes (espaces compris).
Merci d’indiquer : nom, prénom, adresse électronique, institution d’attache. Ces propositions devront parvenir à l’adresse suivante (socio.intellectuels@gmail.com) AVANT LE 27 JANVIER 2013.